jeudi, août 12, 2004

Vieillir et mourir

Vieillir et mourir

Nous sommes dans la temporalité, les heures passent,
les mois et les années, et elles ne reviennent pas.
Lorsqu'on est petit, on devient ceci ou cela,
cela va plus ou moins bien et cela va plus ou moins long
jusqu'à la fin qui n'est que l'arrivée à la Source incréée
dont on est sorti.

"À bientôt", nous disent les arrivants.



On y arrive en laissant derrière nous notre petit écorce humaine
fanée comme une fleur... ou encore nous nous éteignons
parce que nous sommes une petite bougie qui a brûlé
jusqu'au bout. Il n'en reste que ce qu'elle a donné.
D'elle-même: rien.



Je crois que je me réjouis de cette dimension de pure liberté
enfin retrouvée comme le Petit Prince qui s'ennuyant de son étoile,
y revint… ou comme Jonathan le goéland part, déployant ses ailes, plus haut
et revient, esprit parmi les siens pour les accompagner
sur le chemin de cette petite terre. Un simple transit.

Etre vieux est naturel comme être jeune est naturel.
Marcher avec une canne ou deux est naturel comme de rouler en trottinette.
Vingt c'est vingt et quatre fois vingt c'est quatre fois vingt.



Les systèmes: le gros problème!

Ce qui rend la chose difficile est le système
qui met les gens différents dans des endroits différents
parfois assez imperméables, alors des mentalités de petites
boîtes peuvent se créer: la chanson, on la connaît:

petites boîtes petites boîtes

toutes les mêmes, du berceau au cercueil :
une chaîne de petites boîtes les unes
à côté des autres jusqu'à la dernière… Une affaire de mentalités …

Les systèmes, sous prétexte de sécuriser, "systématisent" les gens,
les déshumanisent, les dépouillant de ce qui leur donne
une raison de vivre: la liberté d'être… le système maîtrise les libertés individuelles, il les atrophie… on est protégé parce qu'on est encagé!

Petites boîtes très étroites
Petites boîtes faites en ticky-tacky
Petites boîtes, petites boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Y a des rouges, des violettes
Et des vertes très coquettes
Elles sont toutes faites en ticky-tacky
Elles sont toutes toutes pareilles

Et ces gens-là dans leurs boîtes
Vont tous à l'université
On les met tous dans des boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Y a des médecins, des dentistes
Des hommes d'affaires et des avocats
Ils sont tous tous faits de ticky-tacky
Ils sont tous tous tous pareils

Et ils boivent sec des martinis
Jouent au golf toute l'après-midi
Puis ils font des jolis enfants
Qui vont tous tous à l'école
Ces enfants partent en vacances
Puis s'en vont à l'université
On les met tous dans des boîtes
Et ils sortent tous pareils




Les garçons font du commerce
Et deviennent pères de famille
Ils bâtissent des nouvelles boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Puis ils règlent toutes leurs affaires
Et s'en vont dans des cimetières
Dans des boîtes faites en ticky-tacky
Qui sont toutes toutes pareilles


Mais ce n'est qu'un aspect de ce qui me fait frémir en Suisse,
davantage qu'en Afrique car voyez Mandela
sur son île de Robben Island et dans les autres prisons:
son esprit libéré forçait le respect des geôliers.
Il était libre car il avait une vision, un but:
au delà de toutes les cages, de toutes les apartheids,
lui ou ceux qui viendraient après lui, réaliseraient, concrétiseraient:
une terre où l'on se sent chez soi.
En transit vers la Source de notre liberté non créée!


La vieillesse est donc naturelle et normale, cela ne signifie pas
qu'elle est facile, c'est difficile d'entrer dans la nuit
quand on ne sait pas trop où on met les pieds...
mais quelle joie et quelle lumière à la vue de la première étoile
qui nous invite à l'aventure de la nuit…

Des floraisons fleurissent, embaument et meurent…
Des espèces habitent le dessous et le dessus de la terre
se reproduisent, disparaissent…

des génération d'hommes passent comme un souffle,
en transit vers l'Incréé, l'AMOUR…


Le passé et le future sont connectés dans ce moment présent,
unique, intemporel, plus de montre... plus de temps!
On voit dans toute sa clarté, le sens d'une vie qui nous semblait
vide de sens. C'est la foi de Mandela.

La lumière et la chaleur des petites bougies que nous sommes
passent outre toutes les frontières.
Il faut seulement brûler jusqu'au bout.

Le vieillissement est en lui-même un processus naturel;
par ailleurs un homme de 65 ou de 75 ans est aussi bien portant
et normal qu'un homme de 30 ou de 50 ans à condition
qu'il ne cherche pas à paraître ce qu'il n'est pas: jeune.

Celui qui vieillit peut multiplier chaque année le réseau infini
de ses relations de ses entrelacements, jusqu'à la fin.

"Le vieil homme se repose seul sur la grève,
il sent le vent dans ses rares cheveux, la nuit et la neige vient.
Depuis la rive, plongé dans l'ombre il regarde vers la clarté
là-bas, entre nuages et lac, une bande
de terre éloignée brille encore dans la lumière chaude;
au-delà merveilleux, règne de félicité comme le rêve et la poésie

Il fixe du regard cette image lumineuse
repense à son pays aux années de bonheur
voit pâlir l'or, le voit disparaître
se détourne, quitte les saules
et marche lentement vers l'intérieur des terres"
(selon Hermann Hesse ; son livre magnifique « Eloge de la vieilesse »
Calmann-Levy 2000)

Les jeunes sont dans un autre état d'esprit. Ils s'enthousiasment,
vibrent et s'enflamment. Jeunes et vieux peuvent se lier d'amitié,
mais ils parlent deux langages différents…

Les êtres qui possèdent des dons et se différencient des autres
sont tantôt vieux, tantôt jeunes, comme ils sont tantôt joyeux
et tantôt tristes.

Le seul attribut réservé aux plus vieux est le pouvoir de manier avec plus de
liberté, d'aisance, d'expérience et de bonté, la faculté d'aimer, La vieillesse
ne devient médiocre que lorsqu'elle prend des airs de jeunesse.


Demain, après-demain, très bientôt je serai autre,
je serai le feuillage, je serai la terre, je serai la racine.

Marcheur solitaire, je ne distingue plus entre les pulsions,
les désirs qui m'agitent intérieurement et le concert de la nature
en éveil m'enveloppant de ses mille voix.

Nous aimons la vie aujourd'hui comme hier et désirons lui rester fidèles.
Pour l'amour de la passion et de l'amitié qui, comme un vin noble,
gagnent en profondeur et en qualité avec les années au lieu de s'affaiblir.

Les morts continuent de vivre pour moi avec plus de présence
et de réalité que la plupart de mes contemporains.
Il en va de même pour les hommes disparus que j'ai connus,
aimés et "perdus", pour mes parents, mes frères et mes sœurs,
mes amis de jeunesse, ils font partie de moi-même et de mon existence,
aujourd'hui comme hier lorsqu'ils vivaient encore.
Je les inclus dans ma vie quotidienne...ce rapport à la mort est bien réel
et fait partie de ma vie.

Mon cher ami Gilbert Salem m'écrivait :

Fermons ensemble nos yeux et songeons à nos disparus les plus proches:
ils sont toujours là: la disparition physique n'est qu'un leurre, vous le savez bien.
Quant à la souffrance des autres (les nôtres aussi), elle demeure un mystère.
Mais Dieu, n'est-ce-pas? est beau et grand comme un Mystère.




Je connais bien le sentiment de tristesse qu'inspire la précarité
de toute chose; je l'éprouve à chaque fois qu'une fleur se fane.
Mais il s'agit là d'une tristesse sans désespoir.
Petit à petit nous avons plus de proches et d'intimes de "l'autre côté"
qu'ici bas; si bien que, sans l'avoir prévu nous devenions curieux
de l'au-delà et oublions la crainte qu'éprouve celui qui se protège
davantage de la mort…

Les disparus ainsi que l'essentiel de leur être qui nous a influencé,
vivent à travers nous aussi longtemps que dure notre existence.
Parfois nos entretiens et nos discussions avec eux sont plus fructueux
qu'avec les vivants, et ils nous donnent de meilleurs conseils.

"Conduis-moi, douce lumière
à travers les ténèbres qui m'encerclent
conduis-moi, toi toujours plus avant!
Garde mes pas. Je ne demande pas de voir déjà
Ce qu'on doit voir là-bas
Un seul pas à la fois, c'est bien assez pour moi!
Conduis-moi, toi, toujours plus avant
Si longuement ta puissance (ton AMOUR) m'a béni
Sûrement elle saura encore me conduire
Toujours plus avant
Par la lande et le marécage
Sur le rocher abrupte et le flot du torrent
Jusqu'à ce que la nuit s'en soit allée
Conduis-moi, douce lumière, conduis-moi toujours plus avant."

John Henry Newman

Et encore:

"Beaucoup de choses peuvent attendre
Pas l'enfant
Là, maintenant, ses os se forment
Son sang se fabrique
Ses sens s'épanouissent
A lui on ne peut pas dire demain
Son nom est aujourd'hui."

(Gabriela Mistral)

Sans l'enfance la vieillesse n'existerait pas !
Qu'il est précieux l'enfant qui reflète déjà la sagesse
du vieillard, qu'il est précieux le vieillard qui a gardé
son regard d'enfant!
Jésus affirmait haut et fort :

à moins que vous ne soyez semblable à ces petits enfants,
vous ne connaîtrez la douceur du paradis